Les lectures de Nag

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Funeral Blues, W. H. Auden

J'avais envie de partager avec vous ce poème, que vous connaissez peut être puisqu'il a été utilisé dans le film "Quatre mariages et un enterrement". 

Il me touche beaucoup, je trouve qu'il représente tout à fait ce qu'on ressent à la perte d'un être cher, avec des mots très simples. J'espère ne pas trop vous donner le blues... Je vous mets la version française et la version originale.


Arrêter les pendules, couper le téléphone, 
Empêcher le chien d'aboyer pour l'os que je lui donne,
Faire taire les pianos et les roulements de tambour
Sortir le cercueil avant la fin du jour.

Que les avions qui hurlent au dehors
Dessinent ces trois mots Il Est Mort,
Nouer des voiles noirs aux colonnes des édifices
Ganter de noir les mains des agents de police

Il était mon Nord, mon Sud, mon Est, mon Ouest,
Ma semaine de travail, mon dimanche de sieste, Mon midi, mon minuit, ma parole, ma chanson.
Je croyais que l'amour jamais ne finirait : j'avais tort. 

Que les étoiles se retirent, qu'on les balaye
Démonter la lune et le soleil
Vider l'océan, arracher les forêts
Car rien de bon ne peut advenir désormais. 



Stop all the clocks, cut off the telephone,
Prevent the dog from barking with a juicy bone,
Silence the pianos and with muffled drum
Bring out the coffin, let the mourners come.

Let aeroplanes circle moaning overhead
Scribbling on the sky the message He is Dead.
Put crepe bows round the white necks of the public doves,
Let the traffic policemen wear black cotton gloves.

He was my North, my South, my East and West,
My working week and my Sunday rest,
My noon, my midnight, my talk, my song;
I thought that love would last forever: I was wrong.

The stars are not wanted now; put out every one,
Pack up the moon and dismantle the sun,
Pour away the ocean and sweep up the woods;
For nothing now can ever come to any good.


Wystan Hugh Auden (1907-1973)

"Ballade du dernier amour", Charles Cros

J'avais envie de vous faire découvrir un poème que j'aime beaucoup. Il est extrait du recueil Le coffret de santal publié en 1873.

Ballade du dernier amour

Mes souvenirs sont si nombreux
Que ma raison n'y peut suffire
Pourtant je ne vis que par eux,
Eux seuls me font pleurer et rire.
Le présent est sanglant et noir ;
Dans l'avenir qu'ai-je à poursuivre?
Calme frais des tombeaux, le soir!...
Je me suis trop hâté de vivre.

Amours heureux ou malheureux,
Lourds regrets, satiété pire,
Yeux noirs veloutés, clairs yeux bleus,
Aux regards qu'on ne peut pas dire,
Cheveux noyant le démêloir
Couleur d'or, d'ébène ou de cuivre,
J'ai voulu tout voir, tout avoir.
Je me suis trop hâté de vivre.

Je suis las. Plus d'amour. Je veux
Vivre seul, pour moi seul décrire
Jusqu'à l'odeur de tes cheveux,
Jusqu'à l'éclair de ton sourire,
Dire ton royal nonchaloir,
T'évoquer entière en un livre
Pur et vrai comme ton miroir.
Je me suis trop hâté de vivre.

ENVOI

Ma chanson, vapeur d'encensoir,
Chère envolée, ira te suivre.
En tes bras j'espérais pouvoir
Attendre l'heure qui délivre;
Tu m'as pris mon tour. Au revoir.
Je me suis trop hâté de vivre.

Un magnifique hommage : "Charles Vacquerie", Victor Hugo

Voici un poème que je trouve magnifique. Pour le comprendre, il faut connaître le drame qui a frappé les famille Hugo et Vacquerie. Léopoldine, fille bien aimée de Victor Hugo, épouse Charles Vacquerie en 1843. Les deux familles ont l'habitude de se cotoyer.

Lors d'un séjour à Villequier, le coupe embarquer sur un canot de course en direction de Caudebec. Au retour, le bateau chavire. Léopoldine, Charles ainsi que 3 autres membres de la famille Vacquerie sont emportés. Charles tente de sauver son épouse mais en vain et se noie lui aussi. Face à ce sacrifice, les deux familles décidèrent de les inhumer ensemble, dans le même cimetière. 

Victor Hugo apprend la nouvelle de ce décès dans un journal, alors qu'il revient d'un voyage en Espagne avec Juliette Drouet. Il écrira à Louise Bertin:

 " J’ai lu. C’est ainsi que j’ai appris que la moitié de ma vie et de mon cœur était morte (…). O mon Dieu, que vous ai-je fait ! (…) Dieu ne veut pas qu’on ait le paradis sur la terre. Il l’a reprise. Oh ! mon pauvre ange, dire que je ne la reverrai plus ".


C'est en 1852, lors de son exil à Jersey que Victor Hugo consacre un poème à son gendre, publié en 1856 dans les Contemplations.


Voici donc ce très très beau poème:

XVII

Il ne sera pas dit que ce jeune homme, ô deuil!

Se sera de ses mains ouvert l'affreux cercueil

Où séjourne l'ombre abhorrée,

Hélas! et qu'il aura lui-même dans la mort

De ses jours généreux, encor pleins jusqu'au bord,

Renversé la coupe dorée,



Et que sa mère, pâle et perdant la raison,

Aura vu rapporter au seuil de sa maison,

Sous un suaire aux plis funèbres,

Ce fils, naguère encor pareil au jour qui naît,

Maintenant blème et froid, tel que la mort venait

De le faire pour les ténèbres;



Il ne sera pas dit qu'il sera mort ainsi,

Qu'il aura, coeur profond et par l'amour saisi,

Donné sa vie à ma colombe,

Et qu'il l'aura suivie au lieu morne et voilé,

Sans que la voix du père à genoux ait parlé

A cet âme dans cette tombe!



En présence de tant d'amour et de vertu,

Il ne sera pas dit que je me serai tu,

Moi qu'attendent les maux sans nombre!

Que je n'aurai point mit sur sa bière un flambeau,

Et que je n'aurai pas devant son noir tombeau

Fait asseoir une strophe sombre!



N'ayant pu la sauver, il a voulu mourir.

Sois béni, toi qui, jeune, à l'âge où vient s'offrir

L'espérance joyeuse encore,

Pouvant rester, survivre, épuiser tes printemps,

Ayant devant les yeux l'azur de tes vingt ans

Et le sourire de l'aurore,



A tout ce que promet la jeunesse, aux plaisirs,

Aux nouvelles amours, aux oublieux désirs

Par qui toute peine est bannie,

A l'avenir, trésor des jours à peine éclos,

A la vie, au soleil, préféras sous les flots

L'étreinte de cette agonie!



Oh! quelle sombre joie à cet être charmant

De se voir embrassée au suprême moment,

Par ton doux désespoir fidèle!

La pauvre âme a souri dans l'angoisse, en sentant

A travers l'eau sinistre et l'effroyable instant

Que tu t'en venais avec elle!



Leurs âmes se parlaient sous les vagues rumeurs.

-- Que fais-tu? disait-elle. -- Et lui disait : -- Tu meurs

Il faut bien aussi que je meure! --

Et, les bras enlacés, doux couple frissonnant,

Ils se sont en allés dans l'ombre; et maintenant,

On entend le fleuve qui pleure.



Puisque tu fus si grand, puisque tu fus si doux

Que de vouloir mourir, jeune homme, amant, époux,

Qu'à jamais l'aube en ta nuit brille!

Aie à jamais sur toit l'ombre de Dieu penché!

Sois béni sous la pierre où te voilà couché!

Dors, mon fils, auprès de ma fille!



Sois béni! que la brise et que l'oiseau des bois,

Passants mystérieux, de leur plus douce voix

Te parlent dans ta maison sombre!

Que la source te pleure avec sa goutte d'eau!

Que le frais liseron se glisse en ton tombeau

Comme une caresse de l'ombre!



Oh! s'immoler, sortir avec l'ange qui sort,

Suivre ce qu'on aima dans l'horreur de la mort,

Dans le sépulcre ou sur les claies,

Donner ses jours, son sang et ses illusions!... --

Jésus baise en pleurant ces saintes actions

Avec les lèvres de ses plaies.



Rien n'égale ici-bas, rien n'atteint sous les cieux

Ces héros, doucement saignants et radieux,

Amour, qui n'ont que toi pour règle;

Le génie à l'oeil fixe, au vaste élan vainqueur,

Lui-même est dépassé par ces essors du coeur;

L'ange vole plus haut que l'aigle.



Dors! -- O mes douloureux et sombres bien-aimés!

Dormez le chaste hymen du sépulcre! dormez!

Dormez au bruit du flot qui gronde,

Tandis que l'homme souffre, et que le vent lointain

Chasse les noirs vivants à travers le destin,

Et les marins à travers l'onde!



Ou plutôt, car la mort n'est pas un lourd sommeil,

Envolez-vous tous deux dans l'abîme vermeil,

Dans les profonds gouffres de joie,

Où le juste qui meurt semble un soleil levant,

Où la mort au front pâle est comme un lys vivant,

Où l'ange frissonnant flamboie!



Fuyez, mes doux oiseaux! évadez-vous tous deux

Loin de notre nuit froide et loin du mal hideux!

Franchissez l'éther d'un coup d'aile!

Volez loin de ce monde, âpre hiver sans clarté,

Vers cette radieuse et bleue éternité,

Dont l'âme humaine est l'hirondelle!



O chers êtres absents, on ne vous verra plus

Marcher au vert penchant des coteaux chevelus,

Disant tout bas de douces choses!

Dans le mois des chansons, des nids et des lilas,

Vous n'irez plus semant des sourires, hélas!

Vous n'irez plus cueillant des roses!



On ne vous verra plus, dans ces sentiers joyeux,

Errer, et, comme si vous évitiez les yeux

De l'horizon vaste et superbe,

Chercher l'obscur asile et le taillis profond

Où passent des rayons qui tremblent et qui font

Des taches de soleil sur l'herbe!



Villequier, Caudebec, et tous ces frais vallons,

Ne vous entendront plus vous écrier : -Allons,

-Le vent est bon, la Seine est belle!-

Comme ces lieux charmants vont être pleins d'ennui!

Les hardis goëlands ne diront plus : C'est lui!

Les fleurs ne diront plus : C'est elle!



Dieu, qui ferme la vie et rouvre l'idéal,

Fait flotter à jamais votre lit nuptial

Sous le grand dôme aux clairs pilastres;

En vous prenant la terre, il vous prit les douleurs;

Ce père souriant, pour les champs pleins de fleurs,

Vous donne les cieux remplis d'astres!



Allez des esprits purs accroître la tribu.

De cette coupe amère où vous n'avez pas bu,

Hélas! nous viderons le reste.

Pendant que nous pleurons, de sanglots abreuvés,

Vous, heureux, enivrés de vous-mêmes, vivez

Dans l'éblouissement céleste!



Vivez! aimez! ayez les bonheurs infinis.

Oh! les anges pensifs, bénissant et bénis,

Savent seuls, sous les sacrés voiles,

Ce qu'il entre d'extase, et d'ombre, et de ciel bleu,

Dans l'éternel baiser de deux âmes que Dieu

Tout à coup change en deux étoiles!

"L'éternelle chanson" de Rosemonde Gérard

Voici un poème de Rosemonde Gérard, femme d'Edmond Rostand, filleule de Leconte de Lisle et pupille de Dumas... Peut être vous dira-t-il quelque chose...? J'aime énormément ce poème que je trouve vraiment très romantique...



Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.


Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encore de jeunes amoureux,
Et je te sourirai tout en branlant la tête,
Et nous ferons un couple adorable de vieux.


Nous nous regarderons, assis sous notre treille,
Avec de petits yeux attendris et brillants,
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs.


Sur le banc familier, tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer;
Nous aurons une joie attendrie et très douce,
La phrase finissant souvent par un baiser.


Combien de fois jadis j'ai pu dire : «Je t'aime!»
Alors, avec grand soin, nous le recompterons.
Nous nous ressouviendrons de mille choses, même
De petits riens exquis dont nous radoterons.



Un rayon descendra, d'une caresse douce,
Parmi nos cheveux blancs, tout rose, se poser,
Quand, sur notre vieux banc tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer.


Et, comme chaque jour je t'aime davantage,
Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain
Qu'importeront alors les rides du visage,
Si les mêmes rosiers parfument le chemin?


Songe à tous les printemps qui dans nos coeurs s'entassent
Mes souvenirs à moi seront aussi les tiens.
Ces communs souvenirs toujours plus nous enlacent
Et sans cesse entre nous tissent d'autres liens;


C'est vrai, nous serons vieux, très vieux, faiblis par l'âge,
Mais plus fort chaque jour je serrerai ta main,
Car, vois-tu, chaque jour je t'aime davantage

Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain!


En ce cher amour qui passe comme un rêve
Je veux tout conserver dans le fond de mon coeur,
Retenir, s'il se peut, l'impression trop brève,
Pour le ressavourer plus tard avec lenteur.
J'enfouis tout ce qui vient de lui comme un avare
Thésaurisant avec ardeur pour mes vieux jours.


Je serais riche alors d'une richesse rare,
J'aurais gardé tout l'or de mes jeunes amours,
Ainsi de ce passé de bonheur qui s'achève
Ma mémoire parfois me rendra la douceur;
Car de ce cher amour qui passe comme un rêve
J'aurais tout conservé dans le fond de mon coeur.


Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.


Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encore aux jours heureux d'antan,
Et je te sourirai tout en branlant la tête,
Et tu me parleras d'amour en chevrotant.


Nous nous regarderons, assis sous notre treille,
Avec des yeux remplis des pleurs de nos vingt ans...
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs!

"Rêvé pour l'hiver", Arthur Rimbaud


Un poème de Rimbaud que j'apprécie particulièrement, tout douillet pour l'hiver qui s'installe...extrait de Poésies.

L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée...
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou...

Et tu me diras : "Cherche!" en inclinant la tête,
- Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
- Qui voyage beaucoup...

En wagon, le 7 octobre 1870